Théâtre in situ, théâtre paysage, théâtre immersif
En se plongeant dans la fabrique d'un théâtre in situ que l'on pourrait aussi appeler théâtre paysage, nous sommes allés dans des lieux singuliers, des lieux qui font monde, des lieux-mondes. Des lieux pétris d'imaginaire et séparés de l'espace environnant par une frontière réelle ou symbolique. Nous avons créé des spectacles dans les terrains vagues, dans les carrières abandonnées, dans les jardins à la nuit tombée, dans les cimetières et elle s'apprête à entamer ce travail dans les forêts. Il s'agit à chaque fois de partir d'une certaine typologie de lieu et de voir ce que nous raconte ce lieu, ce qu'il nous apprend, ce qu'il convoque comme imaginaires et comme récits. Il s'agit de se mettre à l'écoute des lieux, de leurs habitants, humains et non-humains ; d'observer ce qui y est à l’œuvre, les enjeux qui les traversent, leurs histoires, en prenant d'abord le temps d'y marcher, de les explorer. Se poser la question de la manière dont on peut trouver ces lieux, y aller, en faire l'épreuve physiquement. Voir comment on y passe, quelles sont leurs frontières. Y entrer, y marcher, écouter, être ouvert aux rencontres, à ce qui surgit, à ce qui vient.
Puis vient le temps de l'écriture.
Qu'est ce que nous raconte les lieux, que pouvons nous en retour y raconter ?
Il ne s'agit pas seulement de prendre les lieux comme décor mais plutôt comme milieu. De faire vivre aux spectateur·ices une plongée à l’intérieur de ces lieux, une exploration.
A chaque étape de la création nous cherchons la manière la plus juste d'être là, comment on entre dans un lieu qui est déjà habité, qu'est ce que cela veut dire de s'y inviter, comment y inviter un groupe de spectateur·ices de la manière la plus respectueuse possible. Il s'agit de prendre soin des lieux et d'avoir une attention à eux, une recherche de la co-habitation.
Le spectacle est aussi une marche, un parcours. Les spectateur·ices sont invité·e·s eux·elles aussi à en faire l'épreuve. La jauge est réduite pour laisser la place au lieu. Ne pas être trop nombreux·euses permet de rester en relation avec celui-ci. Le lieu est en quelque sorte le personnage principal du spectacle, et donc un partenaire de jeu à part entière. Les silences, les temps d'écoute et d'observation y ont toute leur place, il faut parfois savoir s'effacer pour donner à entendre et à voir, faire preuve d'une certaine humilité.
Les corps sont là pour le révéler, le donner à voir, à entendre. On joue sur l'échelle, les différents plans, le proche et le lointain, la profondeur de champ.
La dimension sonore prend une place importante dans nos différentes créations.Le son permet de faire vivre différents temps mais aussi différents espaces.
La création in situ permet de jouer avec le réel, de jouer dans le réel. Il y a une part d'imprévu, de non programmé : la météo bien sûr, mais aussi les traversées possibles d'animaux, de personnes.
Chaque lieu enrichit la fiction et résonne avec elle. Le fait d'adapter le spectacle à différents endroits donne à entendre certaines parties du texte différemment. Il s'agit, d'un site à l'autre, de trouver les similitudes et les différences, de composer avec ce qui est là. Parfois le réel vient se mettre au service de la fiction.
La météo, la lumière, l'exposition jouent également sur ce qui se raconte et comment cela parvient aux spectateur·ices. Un rayon de soleil peut magnifier une scène comme la pluie peut la dramatiser.
Chaque nouvelle typologie de lieu de représentation est l'occasion de découvrir le monde ou les mondes qui lui sont rattachés, de se déplacer. Par les forêts nous allons découvrir des forestiers, ses habitants, ses enjeux actuels.
Nous cherchons à réaliser un théâtre d'expérience au sens fort, le spectateur y fait à la fois l'expérience de son corps mais aussi des lieux, des sons. L'ensemble de ses sens sont sollicités : de l'odorat à la vue, en passant par le toucher. A l'heure de l'urgence climatique, écologique et politique, il nous semble pertinent de participer à la fabrication d'un théâtre in situ, d'un théâtre du dehors, pris dans le monde comme nous le sommes nous-mêmes. De donner à voir, à entendre ce qui est déjà-là, autour de nous, le visible et l'invisible, se mettre à l'écoute du grand théâtre du monde.
Elsa Amsallem, metteuse en scène de l'Atelier des possibles